Eh, Scarlett! Tu prends le service de Rose, en plus, juste pour un petit moment. je n'ai pas le temps de répliquer qu'il s'est déjà retourné. Et puis, répliquer quoi, de toutes façons ? C'est lui le boss, c'est lui qui décide, ça, je l'ai compris il y a longtemps. D'après lui, je devrais lui être reconnaissante d'avoir ce poste. Ce type, je crois que je le déteste. Ma grand-mère travaillait pour lui, avant, dans une autre vie pas si lointaine que ça où il tenait une ridicule petite auberge qui battait de l'aile parce que jamais personne ne venait à Hershaw. Il employait ma grand mère quand il avait besoin de quelqu'un pour nettoyer les chambres, et quand elle n'était pas là, c'était moi qui prenait sa place, parce qu'il fallait bien vivre et que toute proposition était à prendre. Ce type, qu'on appelait Robbie, béber ou Bob, maintenant, c'est Monsieur un point-c'est-tout. Sa tête a enflé en meême temps que son business. Aujourd'hui, il est le proprio de l’hôtel le plus fréquenté par les touristes. Officiellement, je travaille dans la partie restaurant et bar, mais il m'arrive aussi d'apporter les petits déjeuner et de faire l'accueil et la réception quand personne d'autre n'est là. Parce que Monsieur n'a jamais eu le sens des priorité et laisse aller son usine à touriste, se contentant d'empocher le maximum de fric pour son petit confort et de demander à ses employés de travailler trois fois plus pour le même prix lorsque l'un de leur collègues lache. Parce que pour les nerfs, c'est dur. Nous, on est du côté obscur. Le contre-coup de ce parc d'attraction si magique pour les merveilleux enfants. On essuie les caprices, on sourit gentiment, on joue aux gendarmes quand les parents sont ailleurs, on nettoie les verres brisés sous un coup de colère parce que maman a dit non a refaire la même activité pour la sixième fois, on jette des tonnes de frites gaspillées et non mangées, on lave les sièges pleins de ketchup... A vous dégouter des gosses.
Mais bon. Au moins, j'ai un métier.

Je commence ici à connaître Disney. Quand j'étais petite, c'était pas le genre du truc auquel j'avais facilement accès. En fait, même si mes parents sont toujours en vie, j'ai été élevée par ma grand-mère. Elle, la culture américaine, elle connaissait pas. Au contraire, elle a vécu tout les changements du pays, et elle en parle toujours comme si c'était encore quelque chose d'inachevé, et que, maintenant, c'était à nous de jouer. Mes parents vivaient à Hershaw parce que c'était leur lieu de naissance, mais ils travaillaient en ville, aussi, ils n'étaient pas souvent à la maison. Chez moi, on n'a jamais eu de télé, on allait pas souvent au cinéma, et pour tout dire, les trucs américains, on s'en foutait pas mal. Depuis que Disney s'est implanté dans la ville et que j'ai été engagée dans l'hôtel, je connais beaucoup plus. Ce n'est pas pour autant que j'aime. J'ai un peu de mal à me retrouver avec tout les personnages, tous ces princes charmant sans nom et ces animaux bizarres. Je plains les pauvres gens qui doivent porter un costume intégral toute la journée, en sautillant et en prenant des gamins dans leurs bras.
Moi, j'ai des horaires impossibles, je travaille surtout l'après midi et le soir jusqu'au petit matin, mais au moins je ne suis pas obligée de jouer un rôle débile. Non, moi je suis celle qu'on bouscule, qu'on hèle, qui court partout, qui passe pour un danger public si j'ai la malchance de laisser glisser un couvert par terre, qui doit sourire tout les jours malgré tout.

Il abuse, sérieux, c'est la fin de ton service, Scar, tire-toi, franchement, si tu veux j'vais lui parler, moi à ce con. Je me retourne, surprise par les paroles de Joe, un des cuisiniers. Il est sympa avec tout le monde, mais disons que je suis le genre de fille discrète qui se fond dans la masse et qu'on oublie, a qui on parle de ses projets mais qu'on invitera jamais, même si on l'apprécie. Qu'il se préoccupe de moi comme ça me réchauffe le coeur, et je lui souris gentiment. Je crois qu'avec l'autre alcoolique vendeur de glace, c'est le seul qui se souviens que j'existe. Merci, je te revaudrais ça! Il esquisse une petite moue amusée, tandis que j'arrache mon tablier, prête à rentrer chez moi. Enfin, ce "chez moi" en question est l'un des appartements qui ont été mis à la disposition du personnel. C'est plutôt bien pensé, en fait. Heureusement qu'on est pas tous employés à Disney, en fait, sinon le village serait pratiquement inutile. Enfin, il nous faut bien des fournisseurs et tout, mais c'est vrai que la parc est l'attraction principale de la ville.
Dans ma vie, c'est un peu toujours la même chose. Il n'y a que les horaires de boulot qui diffèrent, et puis les conversations que j'ai avec les gens. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas eu de relation amoureuse avec qui que ce soit. Les clients du bar m'accostent de temps en temps, mais avoir une liaison - aussi courte soit-elle - avec un père de famille ou le grand frère d'un des gamins innocents me dégoute un peu. La plupart des employés connaissent à peine mon nom, pour eux, je suis "la fille du bar-restaurant-hôtel". Il n'y en a que deux d'entre eux qui viennent systématiquement ici le soir, et ce n'est pas forcément les plus recommandables. Eux, je sais quoi leur servir sans avoir à leur demander. Je m'entends bien avec eux. L'un est assez âgé, il bosse du côté de l'électricité, en gros ses journées sont pas mal vides, sauf qu'il doit toujours être là pour accourir au cas où une lumière ou un truc dans le genre pète. L'autre est beaucoup plus jeune. Il est un tout petit peu plus âgé que moi, et ce n'est pas le genre de client qu'on apprécie, parce qu'il essaie toujours de m'arnaquer. Des fois, je ferme les yeux. Après tout, il faut bien s'aider, entre collègues. Il finit souvent saoul, et comme je ne sais pas où il habite je dois souvent le raccompagner dans mon appart pour qu'il ne dorme pas dans la rue. C'est le seul qui voit en moi une potentielle conquête. Enfin, quand il a trop bu.